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No one

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Comment raconter sans paroles ? Comment traduire les émotions intimes et les conflits interpersonnels sans recourir aux mots, juste au langage du corps et aux expressions du visage ? C’est le défi de taille que relève depuis 2011 la compagnie Still Life (Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola, artistes associés au Théâtre les Tanneurs depuis 2019) à chaque nouvelle création. No One, la dernière en date (après entre autres Frozen et Keep Going), place un groupe de touristes suants et exaspérés par la panne de leur autobus dans une station-service perdue au milieu de nulle part. Une oasis des autoroutes qui sera leur refuge temporaire, mais aussi le théâtre de bassesses et de cruautés qu’exacerbe l’effet de masse. Lutte pour l’accès aux toilettes, vols, dissimulations et bien pire encore : c’est tout le côté obscur de la Force qui ressort ici, porté par cinq comédiens pro et une dizaine d’amateurs que Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola orchestrent avec brio, dans un décor hyperréaliste bien pensé. A la fois dark et terriblement drôle, quasi gore mais réjouissant, complètement muet mais diablement éloquent, No One aurait dû voir sa tournée passer cet été au In d’Avignon. Le Covid en a décidé autrement. Ce n’est, on l’espère, que partie remise.

E.S.

de Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola. Un spectacle de la compagnie Still Life en coproduction avec le Théâtre Les Tanneurs, la maison de la culture de Tournai/maison de création et La Coop asbl | Une production déléguée du Théâtre Les Tanneurs

Création au Théâtre Les Tanneurs

Le Roman d’Antoine Doinel

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Et si le cinéma et le théâtre ne s’opposaient pas autant qu’on ne le dit. ? Antoine Laubin (Les Langues paternelles, Crâne…) et son fidèle dramaturge Thomas Depryck ont cru à leur rencontre, au passage de l’écran à la scène en nous plongeant dans des images pour la plupart partagées par les aficionados du cinéma de François Truffaut. Un pari fou : celui de condenser non pas un mais cinq films du maître de la Nouvelle Vague, les cinq chapitres de la vie d’Antoine Doinel –personnage avatar de son créateur-, des 400 coups à L’Amour en fuite. De cette somme filmée, le metteur en scène extrait une fresque de quatre heures nous entraînant littéralement dans le tourbillon d’une vie – une construction en étoile évitant la linéarité. Sur une scène que l’on découvre à 360 degrés sur des chaises pivotantes, la distribution évoluant sur les branches d’une étoile de praticables, l’on suit ainsi vingt ans de l’existence d’un homme de la France gaullienne, charmeur et malin, naïf et ambitieux, avec les désirs d’une jeunesse ayant connu l’avant et l’après mai 68. Pour se faire, Antoine Laubin a pu compter sur un casting trois étoiles (Valérie Bauchau, Philippe Jeusette, Renaud Van Camp, Caroline Berliner…) – et surtout un Adrien Drumel, virevoltant comme toujours- dans cette fuite en avant, où l’amour est politique, un sujet premier. Celui qu’on offre mais surtout celui qu’on attend en retour, avec ses joies et ses déceptions. En cela, l’œuvre se montre universelle, offrant en ce petit plus de vivre l’aventure humaine en direct. – N.N.

Une création De Facto, en coproduction avec le Théâtre Varia, Centre scénique de Bruxelles / Théâtre de Liège / Maillon, Théâtre de Strasbourg – Scène européenne

Création au Théâtre Varia

 

Villa Dolorosa

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Elles s’appellent Irina, Olga et Macha. La mort récente de leurs parents les a laissées désemparées, dans une maison familiale devenue leur refuge et leur prison. Sous la plume de Rebekka Kricheldorf, les trois sœurs de Tchekhov et leurs proches trouvent dans l’Allemagne d’aujourd’hui une nouvelle vie. De l’original, l’autrice a conservé les thèmes, les situations et les personnages : ceux-ci ressassent au fil des années leurs projets sans cesse différés, leurs rêves brisés et leur ennui, avec pour toile de fond une société où triomphent l’argent, l’efficacité et l’individualisme. Mais la mélancolie feutrée et la douce ironie du 19e siècle font place ici à une rage bien d’aujourd’hui taillée dans une langue décapante et férocement drôle.

Georges Lini atteint ici le sommet de son talent. Il orchestre magistralement les allées et venues et « chorégraphie» les mouvements à l’intérieur d’un lieu unique, le salon et son vaste canapé, image emblématique de l’inertie ambiante. En maître du casting, il a surtout misé sur le jeu des comédiens, et le résultat est époustouflant. Il se dégage du plateau une impression de liberté totale, même si les excès sont parfaitement maîtrisés. Chacun.e habite son personnage en lui insufflant son énergie propre, et entre eux la connivence est parfaite. Enfin Lini nous fait découvrir une pièce éblouissante, dans un genre où il excelle : bien plus qu’une habile machine à provoquer le rire, ce « vaudeville existentiel » nous renvoie à nos propres failles, et à notre désarroi face à un monde qui nous semble de plus en plus étranger. D.M.

Mise en scène de Georges Lini. Une coproduction Compagnie Belle de nuit, Théâtre des Martyrs, La Coop & Shelter Prod

Création au Théâtre des Martyrs