Jean-Louis Colinet - Jan Goossens

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Cette année le jury a voulu couronner ensemble, fait rarissime, deux acteurs de la vie culturelle bruxelloise «hors normes». Leur collaboration active est devenue un exemple et un symbole positif pour Bruxelles et, au-delà, pour la politique culturelle des deux communautés. Ces fortes têtes, un Wallon hennuyer, passé par Liège et Bruxelles et un Flamand d’Anvers, passé par le Festival de Salzbourg de Gérard Mortier, auraient pu se détester, s’ignorer, se mépriser. La politique, culturelle ou pas, n’est faite ni par ni pour des anges. Mais leur instinct de «fauves doués de raison» les a rapprochés. Au lieu de se tourner le dos, leurs deux institutions, le Théâtre National et le KVS, logés à 500 m l’une de l’autre, ont décidé de se faire face pour dialoguer.

Cela a commencé doucement avec un festival commun «Toernee General» (sic), d’abord noyé dans la programmation puis rassemblé et plus visible. Des spectacles et des artistes ont été échangés, le sur-titrage bilingue a progressé et la modeste «Toernee General» initiale s’est étendue, la dernière année, à une programmation en miroir, sur leurs sites respectifs, donnant le goût à chaque spectateur de picorer ses choix sur le programme de l’autre. Saine curiosité réciproque. Le fait est plus symbolique qu’effectif, diront les sceptiques. Mais en politique-culturelle ou pas- tout est symbole, au départ. Encore faut-il que le symbole soit fort, parle à tout le monde et soit porteur d’avenir. C’est le mérite de Jean-Louis et de Jan d’avoir eu la bonne intuition au bon moment.

Or ils ne sont pas seulement des programmateurs intelligents, instinctifs, brillants, attirant par leur dynamisme de quoi remplir leur salle. Ce sont des hommes de conviction, voulant un théâtre qui parle à tous, avec les moyens de notre temps. Quelles que soient leurs préférences personnelles ils ont une «vision» assez proche. Le «théâtre de ville» qu’ils promeuvent ne doit pas seulement s’adresser aux plus doués ou plaire aux plus riches, ou entretenir seulement un répertoire d’ «honnête homme», à rafraîchir, au mieux. Les nouvelles formes, les nouvelles technologies, les nouveaux textes, très écrits ou venant du plateau, pour les nouvelles générations (sans larguer «les vieux») : c’est leur truc. Du moment que ça parle de nous, citoyens du XXè siècle.

Chacun va puiser dans son terreau, Flandre, Wallonie ou Bruxelles, dans sa génération mais aussi dans ce qu’on appelle l’émergence, les jeunes, en somme. Sans négliger les vieux, soixante-huitards ou pas. Mais l’ouverture vers l’Europe et le monde, l’Italie chérie de l’un, l’Afrique et le Moyen Orient adorés de l’autre, c’est leur ADN : jamais enfermés, toujours à l’écoute et hyperactifs. Naturellement pluri- ou transculturels. Leur aventure continue, à Liège et Naples pour l’un, Marseille pour l’autre. Des mosaïques encore plus compliquées à gérer et flamboyantes que la FWB ou la Vlaamsoverheid.

Bon vent à tous deux. «Salut en merci» (sic) disait, en 1955, dans un pamphlet célèbre, le grand romancier flamand Gérard Walschap, révolté contre l’Eglise et contre la colonisation belge. Walschap : un prophète et précurseur (dans «Oproer in Congo-«Révolte au Congo», 1954) de David Van Reybrouck, dont «Missie/Mission» a circulé au KVS comme au National. Et dont «Congo une histoire» est un bestseller. Des révoltes, des colères dont les programmateurs Jean-Louis et Jan se font souvent l’écho.

«Salut en merci».En français dans le texte. Comme «Toernee general».

Christian Jade.