Manger des épinards c'est bien, conduire une voiture c'est mieux

/web/photos/2015-Manger_des_epinards.pngA peine sortie de l’Insas, Eline Schumacher, comédienne de 23 ans, a cultivé un génial Manger des épinards, c’est bien, conduire une voiture c’est mieux, voyage acidulé sur la perte de l’innocence. « Peter Pan vit au pays imaginaire. Moi, j’habite en Belgique. C’est pas grave, » annonce-t-elle en prélude à son théâtre d’objet décalé qui la voit résister à l’âge adulte. Avec son complice Simon Vialle, elle plonge dans les délices de l’enfance avec une ironie subversive qui la fait aussi glisser vers de moins innocents ébats, voire de très sensuels tableaux. Car grandir, c’est aussi découvrir d’autres corps, d’autres jeux et d’autres plaisirs. On goûte tantôt au sucré acidulé de l’enfance (une reconstitution miniature du film Hook, avec lancer de flèches, de sable et d’eau sur les spectateurs, un album de photos souvenirs qui s’envolent à tire d’ailes, une toupie à la ronde insouciante), tantôt au piquant de l’âge adulte (des doigts qui s’enfoncent dans la confiture avec une jouissance explicite, de mystérieux messages tartinés à la purée d’épinards sur les corps nus). Un peu de talc sur une main évoque le temps qui passe, un bonbon en forme de spaghetti gélatineuse - clin d’œil à la Belle et le Clochard - traduit l’éveil du désir, une bataille d’oreillers au ralenti raconte la passion amoureuse. Un bonsaï, quelques cigarettes, deux pieds qui se cherchent, un cadre de guingois : les gestes et les objets sont plus forts que les mots pour raconter le douloureux passage vers l’âge adulte, le tout musicalement branché sur les années 80. De quoi faire encore mieux passer les épinards ! C M.

« Manger des épinards, c’est bien, conduire une voiture c’est mieux » d’Eline Schumacher, mise en scène d’Eline Schumacher. Créé à la Montagne Magique, Bruxelles, puis repris en forme courte au Festival XS, Théâtre National, Bruxelles. Reprise aux Halles de Schaerbeek en février 2016.

L'enfant colère

/web/photos/2015-L_enfant_colère.pngEn prélude, un joyeux mariage : Clo (Séverine Porzio) et Raphaël (Gabriel Da Costa) chantent et dansent (performance un peu trop ostentatoire peut-être, avec des sourires trop larges ?) pour leur frère aîné Nathan (Mathieu Besnard) qui épouse Anna (Sophie Arnulf). Et puis ce sont les retrouvailles autour d’une table : les deux cadets sont invités à dîner chez le nouveau couple. D’emblée s’insinue un malaise vague que l’on tente d’évacuer dans le vide d’une conversation insipide. Mais brusquement le vernis craque et la faille se creuse ; un souvenir évoqué, dont frères et sœur ont gardé une vision différente, et les forces en équilibre basculent, les certitudes s’affrontent. Pour son premier projet théâtral, Sophie Maillard souhaitait explorer le thème de l’enfermement à travers la microsociété que constitue la cellule familiale. Accueillie en résidence au Théâtre Océan Nord, elle peaufine l’écriture du spectacle au fil des explorations collectives menées avec son formidable quatuor de jeunes comédiens. Essentiels dans la dramaturgie, les dialogues sonnent juste, ils ont la force et la brusquerie des relations qui unissent et séparent à la fois les membres de la fratrie. Mais peu à peu les corps prennent le relais des mots, et l’affrontement se joue également en un combat physique subtilement chorégraphié. Ces mouvements et ces tensions s’inscrivent parfaitement dans l’intimité du lieu choisi, le studio du premier étage, dont les scénographes utilisent habilement les ouvertures vers l’extérieur. Un premier spectacle très abouti, à l’énergie maîtrisée et qui échappe au réalisme souvent inhérent au sujet traité. D.M.

L’Enfant Colère, écriture et mise en scène de Sophie Maillard. Créé au Théâtre Océan Nord en avril 2015.

elu

Ha Tahfénéwai

/web/photos/2015-Ha_Tafénéwai.pngEtonnante dans Ha Tahfénéwai !, Sophie Warnant, jeune comédienne issue de l’École d’acteurs du Conservatoire de Liège incarne la différence jusqu’au bout de sa nudité. Elle vit et transmet cet au-delà sans jamais frôler l’outrance. Entre bouts de phrases, succession de pensées ou diagnostics surréalistes, elle tisse un climat, du rire aux cris. Avant de monter sur scène, elle a passé, avec son complice Romain Vaillant, de longs moments d'observation à la clinique psychiatrique de la Borde en France et au centre de psychothérapie institutionnelle la Devinière près de Charleroi, deux lieux où on laisse s’exprimer la différence. Après avoir joué en col roulé jaune, caleçon trop large et chaussettes fuchsia, Sophie Warnant se déshabille pour raconter l’ignoble, le traitement réservé aux personnes atteintes d’une dite folie. Les propos émis par l’actrice sont glaçants et font oublier son humilité pour laisser la honte envahir le spectateur. Chez nous survivent encore des êtres démunis, nus dans leur chambre de trois mètres sur quatre, sans fenêtre, avec juste une bouche d’aération pour les excréments et plusieurs portes pour permettre aux infirmiers d’entrer ensemble en cas de crise. D’autres sont en pyjama, attachés à leur radiateur…Une tranche de douce démence entre joies et crises, une exploration des odeurs et joies sensorielles ou corporelles au son de la musique de Beethoven pour soutenir l’insoutenable. Un théâtre qui réveille. L.B.

Ha Tahfénéwai ! conception, écriture et interprétation : Sophie Warnant et Romain Vaillant. Production : La Cie Sujet Barré. Création au Festival de Liège et joué au Théâtre national de Bruxelles en 2015.