Quelques rêves oubliés

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La Française Camille Panza, formée à l’Insas, a été accueillie au Japon par Oriza Hirata lui-même, auteur et directeur de théâtre. Un cadeau dont la jeune metteuse en scène s’est emparée avec une passion contagieuse. Jouer un texte japonais… en français… au Japon, où la pièce fut créée, c’est une sorte d’exotisme… à l’envers, réjouissant.

Le thème central, l’humain fragile, perdu au sein d’un univers superbe et menaçant, est parfaitement saisi par les lumières, aléatoires, les sons, facteur de trouble, et le décor mouvant, déstabilisant. Il est certes question de mariage, dérisoire, d’amour, pomme mythologique, de géologie : la terre est un champ archéologique permanent où le passé lointain surgit comme un champ d’os. Et surtout les astres en fusion parlent par des jets de lumière agressive, le ciel étoilé est une mythologie des planètes lointaines, entre Orion et Scorpion.

Les trois acteurs soumis à ce bombardement scénographique ont bien du mérite à survivre, surtout à la fin, où la force de l’univers sonore et visuel les emporte : mais c’est le mérite de Gwen Berrou d’aimer les aventures scéniques. Ici elle fait front, avec son humour naturel et sa fausse désinvolture. Aurélien Dubreuil-Lachaud et Pauline Gillet Chassanne, sont prometteurs, tout comme une remarquable jeune équipe artistique et technique, de moins de 30 ans, issue de l’Insas (comme Camille Panza): Marie Laetitia Cianfarini, Léonard Cornevin, et Noam Rzewski, déjà remarqué deux fois pour ses créations sonores par les Prix de la critique : un récidiviste ! Ils réalisent avec brio le rêve, réussi, de Camille Panza. Chr.J.

Quelques rêves oubliés d’Oriza Hirata, mise en scène de Camille Panza, créé en français au Japon, au Théâtre Komaba Agora, Tokyo. Création belge au 140, Bruxelles.

de Camille Panza d'après Oriza Hirata.

Pater

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Quand elle paraît, en survêt', baskets et la coupe au carré sagement maintenue par une barrette, elle a dix, douze ans, peut-être quartorze. Une grande enfant qui, à l'homme qui l'accompagne sur le plateau, offre une démonstration de danse. Avec ce regard fier qui cherche la fierté en miroir. 

Ce soir-là, aux côtés de Barbara Sylvain, il y a Jean-Luc, 67 ans. Comme ceux qui l'ont précédé et ceux qui le suivront, il a répondu à l'annonce de l'actrice cherchant, pour l'accompagner dans cet exercice pas banal, un homme de 65 à 75 ans, surtout pas comédien. Il est arrivé peu avant la représentation ; ils ont passé une heure à traverser le spectacle, puis partagé un repas. Et les voici, elle le guidant, lui lui offrant une présence en réponse à A., “comme Absent, comme Ailleurs”

Ce soir-là donc, Jean-Luc incarnera le père, objet et sujet de ce Pater composé autour d'un lien effiloché et marqué par l'oubli. “J'avais 14 ans. Il est parti en emportant toutes les photos de famille. J'ai comme un bras qui me manque.” Les mots de Barbara Sylvain, tantôt prononcés, tantôt écrits, guident le regard et l'écoute : une quête intime aux échos universels. Car, si l'abandon est l'exception, les failles relient toutes les familles.

Conceptrice, autrice et interprète, l'actrice a forgé cette création avec la complicité, entre autres, de Lula Béry, de Marie Henry pour la dramaturgie, de Valère Le Dourner à la scénographie... Si la Cie Oh my god n'en est pas à son coup d'essai (on se souvient notamment du délicieux It's so nice, en duo avec Lula Béry), Barbara Sylvain signe ici un projet scénique d'une singularité rare, farci d'audaces et de pudeur, de métaphores et d'obstination, vibrant autour du creux, du vide, du manque. Et plein de la vie bâtie sur lui, avec lui, malgré lui. M.Ba.

Pater de Barbara Sylvain (Oh my god)

Créé au Centre culturel Les Riches-Claires

de Barbara Sylvain (Oh my god)

elu

J'abandonne une partie de moi que j'adapte

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Le bonheur, il est fragile, il sait se faire discret. On peut courir derrière et passer à côté. En 1960, dans le film documentaire Chronique d’un été, Edgar Morin et Jean Rouch interrogeaient les Parisiens sur leurs recettes de bonheur et sa comptabilité avec le travail. Plus de cinquante ans plus tard, la jeune Justine Lequette en fait le cœur battant de son premier spectacle. Travaillé collectivement avec ses quatre formidables comédiens, J’abandonne une partie de moi que j’adapte a été initialement présenté à l’Esact en Solo/Carte blanche. Plongé dans les années 60, on passe des séquences filmées à leurs prolongations scéniques avec une légèreté survoltée et une aisance naturelle. La scénographie qui joue avec des éléments de décor sur roulettes permet aux comédiens de glisser avec fluidité d’une scène et d’un personnage à l’autre. Les vêtements, la coiffure et la dégaine des acteurs laissent pointer une nostalgie attendrie, mais jamais béate, pour cette époque de liberté, du moins dans les idées qui annoncent mai 68. Si le quotidien des ouvriers, étudiants et cadres moyens interrogés par Rouch et Morin se montre morne et gris, le nôtre se dévoile glaçant dans la deuxième partie contemporaine avec le discours d’un leader vantant les vertus du travail émietté. Plein de vraies questions politiques, philosophiques et sociales, ce spectacle distille une joie et une urgence communicatives, qui après la pirouette finale, se révèlent plus que jamais nécessaires. G.B.

J’abandonne une partie de moi que j’adapte, de Justine Lequette (Group Nabla)

Créé au Théâtre national

Reprise : du 6 au 26 juillet à Avignon (Théâtre des Doms) et du 4 au 9 décembre à Bruxelles (Théâtre des Martyrs)

de Justine Lequette (Nabia Group)