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Démons me turlupinant

/web/photos/2015-Demons.pngMonstrueusement géniale ! La scénographie de Démons me turlupinant de Patrick Declerck tient du coup de maître : A mesure que les deux comédiens, doubles de l’auteur, posent les pièces du puzzle de sa vie et de son œuvre, ils comblent de livres une monumentale bibliothèque. En soi, l’idée est déjà belle, mais le scénographe Stéphane Arcas va un cran ingénieux plus loin : sur les livres qui s’ordonnent ainsi dans ce qui pourrait être la bibliothèque rêvée du Prix Rossel 2012, un dessin se révèle, celui du « Démons me turlupinant » de James Ensor, qui donne son titre au roman de Patrick Declerck. Portant chacun un mini bout du schmilblick dessiné sur leur tranche, ces livres reconstruisent avec un patient suspense l’œuvre belge qui a marqué l’auteur et psychanalyste. Un dessin où, comme dans le récit, les fantasmes, les doutes, la honte, prennent des allures grotesques ou déchirantes selon qu’on les observe de près. Ecrin mouvant et titanesque, la scénographie sert la mise en scène d’Antoine Laubin pour adapter le dense roman d’un homme qui se raconte avec, pour fil rouge, une critique touffue de la psychanalyse. Brice Mariaule et Hervé Piron portent le récit de Declerck, ordonnant les livres en même temps que les idées et les images, en écho à l’écrivain agençant ses souvenirs d’enfant, ses propres névroses, ses blessures d’homme et celles de certains de ses patients. Passionnant fatras de réminiscences se bousculant sur le plateau et dans les rayonnages d’une bibliothèque-puzzle. C.M

Démons me turlupinant, d’après Patrick Declerk, mise en scène d’Antoine Laubin. Créé au Rideau de Bruxelles. Coproduction Rideau de Bruxelles / De Facto. Repise à Tournai en 2016.

par Stéphane Arcas

Passions Humaines

/web/photos/2015-Passions_humaines.pngLes passions humaines, oeuvre emblématique du sculpteur anversois Jef Lambeaux (1852-1908), est un bas-relief monumental qui évoque les plaisirs et malheurs de l'humanité. Commandée par Léopold II, l'oeuvre a déchaîné les passions dès la présentation du projet. Au travers des polémiques et des oppositions idéologiques qui se sont cristallisées sur ce projet, Passions humaines explore les rapports entre l'art et le pouvoir. Guy Cassiers a opté pour une scène sur deux étages. En haut, le Roi, Blanche Delacroix, sa maîtresse, et Victor Horta dominent le peuple et la bourgeoisie dans un décor de serres de Laeken suggéré par le jeu des lumières. En bas, les intellectuels, l'anarchiste et les femmes sont encaqués dans un univers étroit, limité que l'on ne voit qu'au travers de l'espace ouvert par des panneaux coulissants. Les costumes (signés Tim Van Steenbergen) s'inspirent de vêtements d'époque décorés par des silhouettes inspirées par l'oeuvre de Spilliaert. Le texte bilingue est servi par des acteurs francophones et flamands qui passent souvent d'une langue à l'autre. Le verbe est rude et la voix porte de façon parfois surprenante, déroutante. Heureusement, les notes cristallines distillées par la chanteuse comédienne Muriel Legrand font le contrepoint du mâle tumulte oratoire. Après deux heures d'échanges riches, au niveau des propos comme de la langue, le décor s'efface permettant la projection des Passions humaines dans toute la profondeur de la scène. Dans un déluge de lumières, des corps humains descendent du ciel pour venir composer l'oeuvre de marbre. D.B.

Passions humaines, d'Erwin Mortier, mise en scène de Guy Cassiers, dramaturgie de Erwin Jans, costumes de Tim Van Steenbergen, vidéo de Kurt D'haeseleer, lumière de Stef Alleweireldt, son de Diederick De Cock, Carine Cuypers. (Co)production Toneelhuis / Le manège.mons / Mons 2015, Capitale européenne de la Culture / Stad Antwerpen / Théâtre National de la Communauté française, créé en avril 2015 au Théâtre le Manège à Mons.

par Guy Cassiers...

De la beauté

/web/photos/2015-De_la_beaute.pngScénographier un spectacle qui traiterait de ce sujet évanescent et ô combien subjectif : la beauté. Un vrai défi. Il fallait pour le relever une personnalité prête à se frotter au théâtre hybride que forge inlassablement Pascal Crochet. Son questionnement – humble et culotté – des canons esthétiques, du champ infini de la perception, de la puissance du subjectif, de la force du doute, a trouvé en Alicia Jeannin une complice à l'oeil affûté. La jeune femme, très tôt captivée par tous les arts, pratique la musique, le théâtre, les arts plastiques, et opte pour la scénographie. De retour d'un long stage au Brésil, elle intègre l'Ensav/la Cambre, où elle côtoie notamment les metteurs en scène Patrick Bonté et Pascal Crochet, avec lesquels elle travaillera, comme assistante, durant ses études. Une installation sonore et lumineuse remarquée, Parle avec elle/Hable con ella, marque en 2011 sa sortie de l'école supérieure. Ses projets depuis lors l'ont menée à collaborer avec le bureau d'architectes Escaut et la Cie brésilienne Teatro da Vertigem, et à participer comme scénographe à du théâtre jeune public ou des courts-métrages, notamment. Outre des costumes hors du temps, Alicia Jeannin signe pour De la beauté un univers dont les parois sont quadrillées de cases, d'écrins ouverts, de panneaux d'exposition, de niches, au milieu de quoi trône une table qui, d'ordinaire centre du travail et de l'échange du quatuor, pourra devenir plateau de dissection voire catafalque. Un dialogue exemplaire entre le sujet et la forme. M.Ba.

De la beauté, de Pascal Crochet, création au Rideau de Bruxelles, février 2015. par Alicia Jeannin