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Pierre Laroche

/web/photos/Pierre_Laroche.pngQuel Pierre Laroche se cache derrière le vertige des chiffres? Cinquante-cinq ans de théâtre, une centaine de rôles, autant de mises en scène... et une pléiade de disciples. Cette moisson féconde, engrangée en 77 ans, a blanchi les cheveux mais n'a pas effacé le pétillement du regard ni l'allégresse de la découverte. Et si Pierre Laroche a clôturé en 2003 le chapitre « mise en scène », avec L'Adolescent de Dostoievski, il n'a nullement l'envie de laisser en coulisses le comédien qui l'habite: c'est pour lui, et pour Jacqueline Bir, que Pietro Pizzuti a écrit L'eau du loup, créé la saison dernière aux Martyrs dans la mise en scène de Christine Delmotte. L'homme dont l'adolescence rêvait de marine et de voyage, de philosophie aussi, s'est tôt enraciné au théâtre, dans le sillage initiatique de Julien Bertheau (à Paris) et de Claude Etienne, au Conservatoire et au Rideau de Bruxelles. Ce dernier, fondateur du Rideau, fit de Pierre Laroche son adjoint jusqu'en 1968 et adouba ses projets les plus fous, comme celui de bâtir un spectacle sur Blaise Pascal et ses Pensées (1975). Pierre Laroche n'a pas cherché pas à lui succéder, il n'est pas homme d'institution et sa fidélité à la scène du Rideau ne l'empêcha pas de sillonner d'autres terres, de mettre en scène et de co-diriger aux Pays-bas, à la Comédie de la Haye, de se lancer dans l'aventure de la Divine Comédie (Purgatoire) de Dante au Théâtre National, de dialoguer avec la caméra, devant et derrière, de balayer toute barrière linguistique en mettant en scène au KVS (Koninklijk vlaams schouwburg), d'être aussi à la rampe du Théâtre Le Public où nous le retrouverons en tête à tête avec Dostoievski, l'écrivain de toute une vie, « prophétique, incommensurable ». Il interprétera en janvier prochain le Rêve d'un homme ridicule, mis en scène par Sandrine, l'une de ses filles... Car le théâtre se vite en famille chez les Laroche, dans une maison chaleureuse, débordant de livres, vivante de fresques d'amis décorateurs... Mais il est encore un autre Pierre, pédagogue humaniste, formidable « éveilleur », qui créa avec d'autres l'IAD (Institut des Arts de Diffusion) en 1959, et ensemença toute une génération d'artistes au Conservatoire de Bruxelles, des êtres qui ne lui ressemblent pas, nécessairement, mais pour qui il a ouvert l'horizon, les Frédéric Dussenne, Pietro Pizzuti, Yannick Rénier... Un art de la transmission, qui, confie-t-il, « se hume et se devine plus qu'il ne s'exprime ». Le sien respecte la fragilité d'un artiste, éveille ses doutes et ses certitudes. Main de fer dans gant de velours et précieux diplomate quand il faut trancher dans le vif, Pierre Laroche est peu doué pour le mépris, l'égocentrisme et la vanité. A tel point que de toute sa carrière il ne fut récompensé que d'une seule Eve du Théâtre en... 1961, pour sa mise en scène du Timide au Palais de Tirso de Molina! Un oubli inimaginable... que nous tentons de réparer aujourd'hui par le prix Bernadette Abraté. M.F.