Mohamed Ouachen n’est pas un acteur, c’est un caméléon. Rarement a-t-on vu comédien changer ainsi de personnages au quart de seconde, en un haussement de sourcil, un geste infime de la main. C’est qu’en quota de transformations, l’artiste a du pain sur la planche avec le texte de Philippe Blasband :
Rue du Croissant. A la manière dont Georges Pérec retraçait la vie d’un immeuble à travers ses habitants dans
La vie, mode d’emploi, Philippe Blasband s’est mis en tête de compiler une rue entière.
L’auteur a imaginé une centaine de personnages, tous articulés autour d’un évènement survenu dans la rue. Un cri, non identifié. Ou était-ce un râle, un rire ? Que s’est-il passé ? Une agression, un règlement de compte ? Le cri devient un bruit qui court et Mohamed Ouachen galope avec, incarnant chacun des habitants de la rue, réduits à une soixantaine de personnes par David Strosberg, œil extérieur sur ce projet, ce qui laisse tout de même un sacré morceau à se mettre sous la dent pour notre marathonien de comédien. Certes, Mohamed est rompu à l’exercice du solo, lui qui s’est fait une spécialité du one-man show, dont le
Djurdjurassique Bled de Fellag, mais sa grande force ici est de ne jamais tomber dans les excès du genre « stand-up ». Il est tour à tour Erika, Martine, Rachid, Dylan, une octogénaire ou une adolescente, un Portugais ou un Slovaque, un dealer de coke ou une bobo française, et même un chat ou un canari. Il jongle avec des dizaines d’accents mais jamais ne tombe dans la caricature. Il saute d’un personnage à l’autre avec une agilité de chat, une délicatesse inouïe, évoluant sur un carré blanc, égayé seulement de deux plantes vertes, rappel décalé de la ribambelle d’intérieurs qu’il visite, parfois le temps d’une simple phrase, parfois s’attardant plus longtemps. Avec sa menue dégaine de moineau tombé de son nid, on se demande où le comédien va puiser cette énergie pour porter l’explosion de cancans colorés : les uns racontent le cri sans avoir rien vu, les autres y voient le prétexte pour parler d’eux, certains s’en foutent, d’autres se cassent une jambe d’avoir voulu aider. C’est la vie telle qu’elle va dans une rue à la fois typique et atypique, « utypique » comme la définit l’auteur, parce qu’elle porte l’utopie d’un métissage vivace. C.M.
de Philippe Blasband par Mohamed Ouachen