Les villes tentaculaires

/photos/2014.LesVillestentaculaires_LeslieArtamonoMonter « Les Villes tentaculaires » d'Emile Verhaeren à Charleroi à l'ère du langage fractionné était culotté, audacieux et judicieux. Nicolas Mispelaere avait à cœur de remettre la poésie au-devant de la scène, carolo ou autre. Entre hier et demain, le comédien incarne le premier poète européen, livre, rimbaldien, un monologue, musical, entêtant, exalté, avec ferveur, sans faiblesse malgré le manque d’intimité. Il s’est approprié les vers, les a décortiqués pour saisir leur sens, leur métrique et leur donner souffle. "Les Villes tentaculaires" n’en manque pas. Grâce au texte, à l'interprétation mais aussi à la mise en scène. Comme la ville, le poète est souvent debout, il erre au milieu de ces tours, blocs de tailles différentes sur lesquelles sont projetées des images réalisées par le Dirty Monitor, ce collectif carolo spécialisé dans le « mapping vidéo » qui consiste à projeter des animations visuelles en relief sur des structures 3D, des bâtiments…Une modernité alliée à ce passé si présent tant l’univers d’hier est perceptible, transmis par le texte d’abord mais aussi par ce comédien pieds nus en costume, par ce décor lisible et vivant et par ce formidable quatuor à cordes et ce musicien électro, partenaires qui accompagnent sur scène le comédien et les vers d’Emile Verhaeren. Entre musicalité et brutalité. Laissons la parole au poète. « Les gens d’ici sont gens de peur : Ils font des croix sur leur malheur. Et tremblent […] C’est la ville tentaculaire, Debout, Au bout des plaines et des domaines. » L.B

« Les Villes tentaculaires » d'Emile Verhaeren, mise en scène de Jean-Michel Van den Eeyden.Créé au Festival Kicks de l’Ancre, Reprise à l'Eden à Charleroi du 21 au 24/4 2015 et au Théâtre de Poche à Bruxelles, en mai 2015.

mise en scène de Jean-Michel Van den Eyden (D'après Shakespeare)
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Money

/photos/2014.Money_AntonioGomezGarcia.pngAprès « Grow or Go » sur la consultance et Une société de services sur le télémarketing,  Françoise Bloch (ZOO Théâtre) réussit encore une fois une forte théâtralité avec une matière  ardue : la finance et les banques ! Cocasse, « Money! » enchaîne une série de discours  (authentiques) et de duos client-banquier, infiltrés de sursauts détonants qui  interrogent avec une naïveté d’apparat : « Où va mon argent, à mon niveau ? ». L’effet  papillon se dessine : un placement infime dans une de nos banques est étroitement lié aux pollutions pétrolières au Niger (Shell), aux licenciements au Portugal (par un rachat de Vinci)… Se pointe, in fine, notre société gavée à l’idée que l’argent  doit rapporter de l’argent. On savoure le « système scénographique », dynamique: des bureaux sur roulettes que les comédiens tournent à l’envi, reconfigurant les espaces. Et l’écran où défilent des images graphiques, documentaires, poétiques. Un spectacle superbement joué par un quatuor finement aiguisé : Jérôme de Falloise, Benoît Piret, Aude Ruyter Damien Trapletti…. 

« Money ! » de Françoise Bloch, mise en scène de Françoise Bloch. ZOO Théâtre en coproduction avec le Théâtre National (Bruxelles),  le Théâtre de Liège et l'Ancre (Charleroi). Reprise au Théâtre National du 4 au 9 novembre et à la Maison de la Culture de Tournai le 25 novembre.

de Françoise Bloch, mise en scène Françoise Bloch

L.E.A.R.

/photos/2014.Lear_AlicePiemme_1.pngLe pouvoir. D'un roi sur son peuple, d'un père sur sa fille. De quoi résumer “King Lear”, tragédie shakespearienne désespérée. Le lien, la transmission, la rupture, la folie, aussi. “Les Enfants n'Auront Rien”, disaient les premiers textes sur le projet. L'acronyme s'est vite ouvert à de plus vastes lectures. La même ouverture préside à l'interprétation: Philippe Grand'Henry, Julien Jaillot, Christophe Lambert, Marie Lecomte, Vincent Sornaga, Pierre Verplancken, plus narrateurs que personnages, eux aussi offrent une sorte de béance, une faille où s'engouffrent les vents d'une nuit assourdissante. Du "Roi Lear" de Shakespeare jaillissent les deux premiers actes, dont les coauteurs Thomas Depryck et Antoine Laubin donnent une adaptation libre et franche, et les acteurs une lecture vivante, à l’intersection de la distance critique et de la vibration viscérale. Stéphane Arcas, à la scénographie, envahit le plateau d'un canapé surdimensionné, formidable vaisseau d'une aventure pas banale. La création sonore de Roeland Luyten atteint son climax dans la tempête à couper le souffle qui fait la transition vers la seconde partie. Ce sont maintenant de vraies personnes qui questionnent le récit bâti plus tôt, le démontent, l'analysent, l'observent, l'illustrent juste assez pour l'éclairer sans tout résoudre. Six humains, puisant dans leurs propres histoires et dans la grande boîte à outils du théâtre, creusent sans répit cette montagne: le père, son pouvoir et celui qu'on a sur lui. L’abdication, le renoncement, le chantage implicite, l’ingratitude, la reconnaissance, l’émancipation, le déni, l’aveu, la mémoire, le désir, le théâtre lui-même : tout cela fourmille, rugit, serpente et bruit dans ce “L.E.A.R.” profondément humain, tourmenté, drôle, bouleversant. (M.Ba.)

L.E.A.R., d'après Shakespeare, dramaturgie de Thomas Depryck, mise en scène d'Antoine Laubin / Cie De Facto, Théâtre de Namur, Varia, Manège.Mons, Théâtre de Liège