Le pouvoir. D'un roi sur son peuple, d'un père sur sa fille. De quoi résumer “King Lear”, tragédie shakespearienne désespérée. Le lien, la transmission, la rupture, la folie, aussi. “Les Enfants n'Auront Rien”, disaient les premiers textes sur le projet. L'acronyme s'est vite ouvert à de plus vastes lectures. La même ouverture préside à l'interprétation: Philippe Grand'Henry, Julien Jaillot, Christophe Lambert, Marie Lecomte, Vincent Sornaga, Pierre Verplancken, plus narrateurs que personnages, eux aussi offrent une sorte de béance, une faille où s'engouffrent les vents d'une nuit assourdissante.
Du "Roi Lear" de Shakespeare jaillissent les deux premiers actes, dont les coauteurs Thomas Depryck et Antoine Laubin donnent une adaptation libre et franche, et les acteurs une lecture vivante, à l’intersection de la distance critique et de la vibration viscérale. Stéphane Arcas, à la scénographie, envahit le plateau d'un canapé surdimensionné, formidable vaisseau d'une aventure pas banale. La création sonore de Roeland Luyten atteint son climax dans la tempête à couper le souffle qui fait la transition vers la seconde partie. Ce sont maintenant de vraies personnes qui questionnent le récit bâti plus tôt, le démontent, l'analysent, l'observent, l'illustrent juste assez pour l'éclairer sans tout résoudre. Six humains, puisant dans leurs propres histoires et dans la grande boîte à outils du théâtre, creusent sans répit cette montagne: le père, son pouvoir et celui qu'on a sur lui.
L’abdication, le renoncement, le chantage implicite, l’ingratitude, la reconnaissance, l’émancipation, le déni, l’aveu, la mémoire, le désir, le théâtre lui-même : tout cela fourmille, rugit, serpente et bruit dans ce “L.E.A.R.” profondément humain, tourmenté, drôle, bouleversant. (M.Ba.)