En maître du suspense, Dennis Kelly n’a pas son pareil pour mettre en lumière la noirceur du quotidien. Dans chacune de ses pièces, l’auteur britannique joue avec les nerfs de ses lecteurs, les envoie sur de fausses pistes et jongle avec leurs certitudes. « Girls and boys » n’échappent pas à la règle. Porté par France Bastoen, les mots de Dennis Kelly nous emportent dans la violence d’un évènement sordide. Rien ne prépare le public à la chute vertigineuse qui l’attend. Au centre d’un plateau épuré, une femme se raconte simplement. Elle se souvient de sa première rencontre avec l’homme qu’elle a choisi d’épouser. Elle retrace ensuite, les éléments marquants de sa réussite professionnelle mais à mesure que les souvenirs heureux refont surface, le personnage s’enlise dans une profonde amertume. Les silences se font de plus en plus pesants et le texte, dans ses interstices, révèle un personnage au bord du gouffre. Seule au plateau, France Bastoen parvient à jongler avec toutes les nuances d’un texte-partition qui nous emporte sans prévenir dans un drame d’une noirceur sans égale. F.C.
Éloge de l'altérité, créé en octobre 2021 à l'Océan Nord dans le cadre du festival Mouvements d'altérité.
Taille : 1,70 m. Poids : 48 kilos. Tour de poitrine : 64. Bonnet : 85. Tour de hanche : 80. « Longueurs, largeurs, c’est plutôt bien, surtout l’entrejambe, » estime Lol, quand elle se scrute dans les nombreux miroirs qui la cernent. « Pas canon, canon, mais ça va, » s’autocritique-t-elle encore, promenant son allure de gazelle sur un lino blanc brillant mais étrangement froissé, comme un podium de défilé de haute couture que l’on aurait chiffonné, maltraité. Cheveux peroxydés, short moulant, talons hauts, démarche de mannequin : Lol s’expose crûment à notre regard dans cette séance de « fashion sharing » pour nous présenter sa collection de vêtements.
Des yeux brun caramel, des lèvres pulpeuses, un sourire fendu par ce petit trou entre les dents. Le trou de la chance, paraît-il. « Le sourire, c’est gratuit chez moi, » balance la bien-nommée Lol qui détaille aussi ses cheveux, « trop éclaircis, comme un champ de blé pourri dans des gyrophares, » disait son ex, Jérémy. Les seins, par contre, « une belle paire, bien consistants. Là, il pouvait rien dire, Jérémy ! » Parlons-en de Jérémy, son ex, avec qui elle est allée rejoindre une bande d’amis pour une soirée de strip-poker. On comprend vite que la partie a dégénéré, que les brelans ont laissé place à une bande de sales branleurs, que les carrés ont viré à la curée. Ce soir-là, elle n’avait pas les bonnes cartes, elle, la reine de cœur bernée par ces hommes au sourire de Joker. « De toute façon, depuis que la civilisation existe, les mecs ont le beau jeu, » médite celle qui fait resurgir, comme malgré elle, le souvenir traumatique de cette soirée d’humiliations et de violence physique.
Charnel et trouble, le texte de François Emmanuel va comme un gant – ou plutôt comme un collant résille – à Marie Bos qui devient cette fille qui a beau enfiler fiévreusement perruques et robes, elle ne fait que se mettre toujours plus à nu, pour se défaire de la gentille petite Lol, façonnée par le regard des autres, et tenter de retrouver cette part d’elle-même, brute, sauvage, digne, qui se tapit dessous. C.M.
Dressing Room, de François Emmanuel.
Mise en scène de Guillemette Laurent.
Avec Marie Bos.
Un spectacle du Théâtre Varia en coproduction La Coop asbl, Shelter Prod - Artémis Productions.
Création au Théâtre Varia.
Elle n’a l’air de rien, parle d'une voix rauque, ponctuant son histoire de petits rires et de silences. Carine Bielen a 47 ans et vit seule avec son enfant âgé de quelques mois. Ce n'est pas simple parce que Logan a la terreur dans sa tête. Dès qu'il fait noir, il hurle. Il a peur du noir, comme Carine qui a peur du vent. Alors, elle boit un petit verre de rouge pour dormir tranquille.
Carine ne se sait plus très bien comment elle est devenue mère mais elle sait qui est le père. La naissance de Logan a changé sa vie. Elle qui n'a jamais rien eu à elle, en une fois elle reçoit tout, elle reçoit quelqu'un qui, toute la vie, va l'appeler « maman ».
Touche par touche, Carine dresse le tableau du drame de sa vie : ne pas être. Ou juste un chiffre, une statistique, un numéro sans consistance, sans nuance, sans humanité. Carine emmène le public dans son récit chaotique et bouleversant avant de le laisser, sonné, submergé d'émotion. La comédienne Véronique Dumont pousse la justesse du jeu jusqu'à s'effacer totalement derrière son personnage laissant toute la place à cette femme fragile, attachante et perdue.
D.B.
de Céline Delbecq.
Mise en scène de Céline Delbecq.
Avec Véronique Dumont.
Un spectacle de la Compagnie de la Bête Noire, en coproduction avec le Rideau, La Coop asbl, Théâtre des Ilets/CDN de Montluçon, Centre culturel de Dinant et Centre culturel de Mouscron.
Création au Rideau.
Reprise le 17 octobre 2022 au Théâtre de Namur, les 20 et 21 octobre 2022 au CC des Roches, les 10 et 11 janvier 2023 à la MC Tournai, le 17 janvier 2023 au CC d’Engis, Le 24 janvier 2023 au CC de Dinant,…