De son propre aveu, Josse De Pauw est un «flâneur» qui refuse un but précis à ses randonnées mais qui cueille, en cours de route, tout ce que son instinct lui dicte. Depuis trente ans, à partir d’une formation classique au Conservatoire flamand de Bruxelles, le chemin parcouru laisse apparaître une belle cohérence dans ses choix successifs. Exigence, vis-à-vis de soi et de ses partenaires, curiosité insatiable de formes nouvelles, mêlant la parole, la musique et l’image, pour creuser la poésie, l’amour de la vie, l’humour et le désir.
Il a décliné ses passions dans tous les genres… « classiques » mais « tordus » à sa fantaisie : le cirque (parodique et muet de Radeis), le théâtre (en solo ou équipe, de plus en plus « musical », jusqu’à l’opéra), le cinéma (où il est une des vedettes de Dominique Deruddere ou Mark Didden). Avec, politiquement, un éloge du multiculturalisme, de la liberté et de la tolérance. Flamand, Bruxellois, Belge (et fier de l’être, ce qui devient rare) et dès ses débuts, « international ».
Avec ses trois copains du groupe Radeis, et leurs parodies de cirque désopilantes et …muettes, il parcourt le monde de 1978 à 1984, passant même la frontière linguistique belge… au 140 de Jo Dekmine. Ce théâtre/cirque muet lui permet de surmonter d’emblée l’obstacle classique de tout théâtre : la langue. Plus tard les progrès du sur titrage au théâtre surmonteront aussi l’obstacle. Mais Josse De Pauw (et quelques autres acteurs flamands ou hollandais) parle français avec l’aisance et l’élégance d’un « zinneke » bruxellois parfait …quadrilingue. On s’en est aperçu cette année au KVS, dans «Raymond», le « tracé » de vie de Raymond Goethals. Ecrit par Thomas Gunzig, ce monologue était dit et joué avec une élégance virtuose par un Josse passant du français au néerlandais avec un humour bien à lui et sans volonté de ressemblance mimétique avec son personnage. Pas d’imitation physique non plus mais une émotion contenue, dans l’hommage à Hugo Claus, «De Versie Claus», basé sur des textes du grand bonhomme, vu lors du Festival « anthologique » présenté conjointement par le KVS et le T.N. en janvier 2010. L’occasion pour les francophones qui auraient raté quelques « chaînons manquants », depuis les Radeis, d’admirer «Het kind van de smid» (L’enfant du forgeron, 1990) ou «De Siel van de Mier» (l’Ame des termites, 2004), où Maeterlinck apparaît comme le plagiaire d’Eugène Marais, écrivain sud-africain ! Un spectacle co-créé avec David Van Reybroeck,-devenu célèbre par sa récente histoire du Congo- et le grand compositeur Jan Kuijken, passionné de théâtre musical avec lequel il remet ça, en 2011 avec «De Gehangene», (les Pendus), hommage à un héros de la libre pensée, Giordano Bruno. Dans la même veine de théâtre musical on a pu voir «Ruhe» où la musique de Schubert enveloppe une interrogation, sans manichéisme sur les SS hollandais. C’est que Josse De Pauw peut à la fois se passionner pour les racines du pouvoir totalitaire-incarnant Goering dans «Mefisto for ever» de Tom Lanoye, mis en scène par Guy Cassiers- ou poursuivre, avec le même Cassiers, une interrogation plus formelle comme «Onder de Vulkaan», d’après Malcolm Lowrie, où l’absence d’intrigue, une difficulté technique de narration, le passionne.
Il se définit comme un « sonntagskind », un enfant de la chance. Je le vois plutôt en « curieuse neus » qui a su saisir la chance de la vague flamande des années 80 pour fonder, les piliers de sa vie professionnelle et intime : avec Hugo De Greef, il propulse l’innovant Kaaitheater. Et il rencontre la femme de sa vie, co-fondatrice de Rosas, la danseuse japonaise Fumiyo Ikeda. Lorsqu’un journaliste demande à Fumiyo ce qu’il y a de plus beau chez Josse, elle répond : « les mots qu’il me dit ». Rarement entendu éloge aussi simple et émouvant d’un grand artiste : un homme tout simplement. C.J.