Une société de services

/photos/Une_societe_de_services.pngService après-vente ou enquête de satisfaction, on a tous, un jour ou l’autre, eu affaire à un jeune motivé à l’autre bout du fil, qui vous saoule de baratin promotionnel ou vous trimballe interminablement d’un service à l’autre, alors que vous trépignez de rage à cause d’une panne Internet. « Une société de services », portrait cynique du monde du travail par le prisme des « call centers », vous propulse dans les coulisses de ce monde précaire et impitoyable. La vidéo, loin d’écraser la scène, offre un fabuleux décor mouvant, d’un Chaplin à la chaîne dans Les Temps Modernes à des bureaux étriqués en forme de rouleau compresseur qui semblent broyer les comédiens. Avec un passage qui vous cloue définitivement le bec, extrait d’un texte de 1870 sur le travail : « L'avenir nous promet non seulement un travail comme il est actuellement, mais un travail intelligent; non pas un labeur qui déforme, qui épuise et qui tue même. Dans le travail de l'avenir, que demandera-t-on à l'homme ? Son intelligence, sa science, en un mot, son génie. Que faut-il pour cela ? Des machines, encore des machines, toujours des machines. Dans un siècle et plus, en 1970, tous les travaux où l'homme est boeuf seront remplacés par les machines. Oui, voilà l'incomparable puissance qui apportera son formidable concours à la résolution du travail social. » Quelle désillusion aujourd’hui ! La vidéo joue un rôle central dans la mise en scène de Françoise Bloch. Elle agit comme un contrepoint à la frénésie des comédiens sur leurs chaises de bureau à roulettes. « Mes spectacles ne visent pas à produire un récit mais à construire un « paysage », un portrait à partir d’une multitude de tableaux liés entre eux par la vidéo. Celle-ci fonctionne comme un point de vue. Elle détourne le sens, » résume la metteuse en scène. C.M.

Une société de services, créé aux Tanneurs. Une création de Zoo Théâtre en coproduction avec le Théâtre Les Tanneurs et l’Ancre.

par Yaël Steinman, Damien Petiot et Benoit Gillet.

Exils

/photos/Exils.pngChez Fabrice Murgia, le spectacle est un art total où la création technique est nécessairement soignée au cœur d’une œuvre sensorielle à la croisée des arts plastiques et du cinéma d’art et d’essai. Exils n’y déroge pas qui faufile le sujet politique dans une métaphore onirique pointue. Car ici « tout peut se déplacer sans que l'on comprenne pourquoi" signale ce metteur en scène bien entouré. Les lumières de Xavier Lauwers, tableaux en clair-obscur, travaillant le blanc, injectant un déplacement vertical et nerveux en rais de lumière traversant la scène  nerveusement. La lumière crée l’urgence, au diapason de la bande-son industrielle de Yannick Franck et Laurent Pluhmans, encerclant les interprètes en apesanteur qui sont projetés dans des dialogues avec les vidéos de Jean-François Ravagnan. En un clignement d’œil, une route apparaît derrière le comédien, plantant l’errance désespérée du clandestin, solitaire comme les autres personnages occidentaux dont les captations « live » vont refléter le mal être intérieur. Avec son quatrième mur voilé et ses fumées flottantes, Exils imbibe son propos - « la sensation de s’effacer » - par une création technique puissante qui nous rappelle qu’au théâtre, écrire une atmosphère reste du grand art… N.A.

Exils de Fabrice Murgia / Cie Artara dans le cadre du projet Villes en scène au Théâtre National.

elu

La Estupidez

/photos/La_estupidez.pngLe plateau des Tanneurs semble avoir quadruplé d'un coup de baguette magique. La fée qui y a planté une chambre de motel et tous ses environs, du téléphone public à la terrasse, s'appelle Marie Szersnovicz. Elle est diplômée de l'École supérieure des Arts décoratifs de Strasbourg. A travaillé comme accessoiriste à Bollywood et aux côtés de Jan Fabre, mais aussi au Festival international d'art lyrique d'Aix-en-Provence, avec notamment Stéphane Braunschweig, Krystian Lupa, William Kentridge, Robert Lepage. Désormais installée en Belgique, la plasticienne, scénographe et costumière est devenue une fidèle de Transquinquennal, avec qui elle collabore sur « Blind Date », « Coalition » (avec Tristero), « Capital Confiance » (avec le Groupe Toc). L'irruption de l'étrange dans l'hyperréalisme d'« Habit(u)ation » (Anne-Cécile Vandalem), c'est elle aussi, que par ailleurs captivent la danse contemporaine (elle travaille avec Faustin Linyekula, Cindy Van Acker, Angelin Preljocaj, Liesbeth Gruwez...) et l'architecture (associée à l'agence l'Escaut, elle participe à la conception du Pavillon belge à l'Expo universelle de Saragosse en 2008). Ingéniosité et transformisme étaient requis pour les décors, accessoires et costumes de « La Estupidez », spectacle fleuve au rythme étourdissant, où cinq personnes en jouent vingt-cinq, endossant un rôle parfois pour quelques secondes avant de passer au suivant. Marie Szersnovicz ne se contente pas de ces évidentes et indispensables qualités ; sa création – artistique et technique, donc – est de celles que, visuellement, esthétiquement, on n'oublie pas. M.B.

« La Estupidez » de Rafael Spregelburd, traduction française de Marcial Di Fonzo Bo, créé par Transquinquennal en avril 2012, joué à Bruxelles (Tanneurs) et à Liège (Pôle Image).