Ajuste tes pensées petite soeur

/Ajuste_tes_pensées_petite_soeur.png« Est-ce qu’on naît fou ou est-ce qu’on devient fou ?” C’est sur cette interrogation qui revient comme un leitmotiv que Sarah Brahy et Aline Mahaux de la compagnie Les Deux Frida ont fondé leur spectacle Ajuste tes pensées petite sœur. À la plume, à la mise en scène et sur le plateau, les deux jeunes artistes livrent une création sensible et créative alternant poésie, humour et moments de trouble. C'est le caractère insoluble de la question posée mais aussi la manière dont elles l'abordent sur scène qui fait de ce spectacle une très belle découverte. Tour à tour, elles incarnent deux jeunes patientes qui se rencontrent dans les couloirs d’un hôpital psychiatrique et s’affranchissant de leurs deux infirmières, partent en voyage. Itinéraire fantasmé, hallucinations, illusions ou délire partagé ? Oscillant entre rêve et réalité, elles emportent le spectateur dans leur voyage de survie comme si c’était leur dernière chance d’échapper à une existence matérielle. Elles interprètent les deux infirmières aussi, l’une discrète et attentive, l’autre, passionnée et attachée à ses patients. A ce quatuor de personnages s'ajoute la figure délicieusement comique du médecin, interprété par Henri Monin. Ajuste tes pensées petite sœur est un spectacle étonnant qui brouille les frontières et sème le trouble dans l'esprit du spectateur. C.dM.

Ajuste tes pensées petite sœur, de et mis en scène par Sarah Brahy et Aline Mahaux au Théâtre Océan Nord, Bruxelles.

de Sarah Brahy et Aline Mahaux

Hors-la-loi

/Hors_la_loi.pngQui eût cru que western et théâtre feraient si bien la paire ? Pour Régis Duqué, auteur de l’excellent « Hors-la-loi », il y a entre eux une filiation évidente et passionnante. Comme le vaudeville avec ses cocus dans le placard et ses portes qui claquent, le western a ses codes bien particuliers, ses cow-boys bourrus, ses rues désertes que traversent des buissons secs, ses portes battantes de saloon, ses duels au soleil couchant, ses demoiselles en détresse. Avec ses silences lourds de sens, son action économe, ses regards qui en disent longs et la densité de ses dialogues, « Il était une fois dans l’Ouest » n’est-il pas éminent théâtral ? Ce sont ces correspondances qu’interroge la pièce de Régis Duqué, parodie bourrée d’humour décalé. Stetson sur le crâne et santiags aux pieds, les cinq comédiens convoquent la petite ville tranquille de Bodie. Stéréotypés comme les sept nains de Blanche-Neige, ils vont détourner le genre avec des dialogues et des situations absurdes. Il y a le shérif taciturne, le rebelle sans cause et les demoiselles en détresse : un cadre propret que des petits détails cocasses dans la mise en scène de Jérôme Nayer craquellent joyeusement. Démarche arquée et paupières savamment travaillées à la Clint Eastwood, le shérif (impayable et pince-sans-rire Hervé Piron) dégaine une banane en guise de colt et s’évertue à peler tous les fruits qui lui tombent sous la main. Mis sous verrou, Franck (impeccable Eno Krojanker), la Brute obligée de tout far west, transforme sa chemise en menottes tout-terrain attachées à des barreaux volatiles, la jolie prostituée (la subtile Fanny Hanciaux) philosophe sur la sonorité de la langue tandis que l’insolente institutrice (Yasmine Laasal, véritable bourrasque comique) est une nymphomane combative. Un voyageur idéaliste et puceau (François de Saint-Georges) vient compléter le tableau avec une maladresse charmante. Loin des grandes plaines de l’Ouest, Bodie est un repère boueux de racailles, à la mine d’or depuis longtemps asséchée. Pour passer le temps, on triche aux échecs, on se défie dans des ping-pongs verbaux surréalistes et on abuse des fouilles corporelles. Lucky Luke, Blueberry, John Wayne nourrissent cet univers déjanté entre exercice de style et chorégraphie de saloon. Cerise sur le gâteau : il n’y a pas que les machos qui sont entreprenants, les demoiselles savent aussi dégainer leurs artifices. Avec un humour fait de petits détails, piquants comme des éperons, « Hors-la-loi » se révèle hors pair. C.M.

Hors-la-loi,de Régis Duqué, mise en scène de Jérôme Noyer, créé à l’Atelier 210.

de Régis Duqué
elu

Où les hommes mourraient encore

/Où_les_hommes_mourraient_encore.pngDans cette création de Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola, montée au Labo du Marni à la fin du mois de mai, deux femmes et un homme jouent à la mort. Ils cessent de respirer, plongent leur tête dans un seau d'eau ou même se tirent dessus. Sans succès. Car on ne meurt plus dans le bled perdu où ils vivent. Du coup, la mort est devenue le fantasme absolu. Et les trois complices imaginent, rêveurs, enterrements et processions funéraires. Ils préparent des couronnes de fleurs, au cas où. Et espèrent, impatients, se faire faucher quand même. Très visuel, Où les hommes mourraient encore charme par son univers singulier et sa délicieuse audace. Mélange d’onirisme et de minimalisme, la scénographie d’Aurélie Deloche (qui a fait recouvrir le sol de morceaux de… sacs poubelle pour simuler le charbon !) est d’une beauté fascinante, que le trio de comédiens (Marine Bestel, Muriel Legrand, Francesco Italiano), tour à tour clowns ou poètes, anime d’une tragique gaieté. Un vrai numéro d'artistes. A.N.

Où les hommes mourraient encore, une production de la Compagnie 36,37 avec le soutien du Théâtre Marni et de la SACD.

de Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola