Les justes

/photos/2014.LesJustes3_MehdiDehbi.pngNé à Liège en 1985, acteur pour le cinéma avant d'entrer au Conservatoire de Bruxelles puis de passer par le Conservatoire national d’art dramatique de Paris et la London Academy of Music and Dramatic Art, Mehdi Dehbi a livré une première mise en scène audacieuse, âpre et généreuse avec sa relecture des “Justes” de Camus (1949), texte inspiré de faits et de personnages réels : en février 1905, un groupe appartenant au parti socialiste révolutionnaire organise à Moscou un attentat à la bombe contre le grand-duc Serge, oncle du Tsar. Or si vrai et vraisemblance n’ont pas besoin de naturalisme pour s’ancrer au théâtre, la mise en perspective, elle, peut leur donner une profondeur inédite. C'est ce que réussit Mehdi Dehbi dans le questionnement de la violence et de sa légitimité. Donner la mort pour la vie ? Le jeune metteur en scène fait porter les incandescentes interrogations de Camus par une distribution intègre, intense et sobre, cinq acteurs venus du Moyen Orient : une Syrienne, une Jordanienne, un Irakien, deux Palestiniens. Ni plateau ni gradins mais des chaises éparses, une foule, des écrans où lire les surtitres à mesure qu'on découvre d'où et de qui vient la parole – travaillée en arabe classique par Hala Omran, l’une des actrices. La jeunesse en révolte, l’idéologie qui soude et qui déchire, la violence comme réponse à l’oppression. On est en Russie au début du XXe siècle, en Irlande hier, en Palestine ou en Syrie aujourd’hui. On est dans l’émotion brute de ceux devant qui s’ouvrent des choix déchirants et se posent les questions vertigineuses de l’honneur et de l’amour, de la peur et de la honte, de la vie et de la mort. On est devant – dans – la forme fragile et pourtant forte d'une dramaturgie jamais frileuse, qui ose les silences et ne craint pas plus la lumière crue que les ténèbres. (M.Ba.)

Les Justes d'Albert Camus, adaptation et mise en scène de Mehdi Dehbi au Théâtre de Liège et au Théâtre des Tanneurs

par Mehdi Dehbi

Nourrir l'humanité

/photos/2014.Nourrirlhumanite_OlivierLaval.pngTout est vrai. Les voix, les mots, le sens et même l’accent, tout est vrai dans « Nourrir l’humanité, c’est un métier ». Charles Culot, acteur et fils d’agriculteurs, est à l’origine de ce spectacle qui nous plonge au cœur des fermes de petits exploitants belges. Pendant plusieurs mois, il a sillonné les routes avec sa comparse Valérie Gimenez et a rencontré une trentaine de familles d’agriculteurs en majorité écrasées par l’industrie agroalimentaire, la mauvaise répartition des aides de la Pac et les dettes. Au terme de cette enquête journalistique approfondie, Charles Culot et ses partenaires de la compagnie Art & tça ont monté les témoignages. Sur scène, vidéos et imitation d’une justesse incroyable des paysans par les deux comédiens permettent de saisir en peu de temps tous les enjeux de l’agriculture contemporaine avec une émotion inégalable. Cette démarche d’amener le réel au théâtre avec une exigence de vérité, la compagnie Art & tça, composée de quatre artistes issus de l’école d’acteurs de Liège, en a fait sa spécialité. Leur premier spectacle, Grève 60, "rendait compte" de la grève générale de l’hiver 60-61. Pour leur prochaine création, Entre rêve et poussière, du 4 au 15 octobre au Théâtre de Liège, ils proposent une incursion dans le système scolaire. Leur objectif ? "Comprendre, analyser, critiquer, questionner notre temps […] Raconter des histoires à partir de l’Histoire". Une formidable découverte. CdM

« Nourrir l'humanité c'est un métier » de et par Charles Culot et Valérie Gimenez, mis en scène par Alexis Garcia. Une production de la Compagnie Art & tça, en coproduction avec le Théâtre National et le Ministère du développement durable. En tournée en Belgique. Au Théâtre National de Bruxelles du 27 janvier au 1er février.

de et par Charles Culot et Valérie Gimenez, mis en scène par Alexis Garcia
elu

Décris-ravage

/photos/2014.décris-ravage_MichelBoermans2.pngSur le papier, ce “projet documentaire consacré à la Question de la Palestine depuis 1789” semblait bien austère. “Le pathos, la satire politique et ses exagérations n'aident pas à découvrir des événements qui ont été occultés, qui sont absents des récits habituels”, estime du reste Adeline Rosenstein. Comédienne, clown, metteure en scène, performeuse, de Suisse en Argentine, de Jérusalem à Berlin, en passant par Bruxelles, elle invente, interroge et pratique depuis le début des années 2000 un théâtre documentaire qui ose soulever les questions inconfortables, embrasser les sujets cruciaux. En l'occurrence, la géopolitique du Proche-Orient, les sources de l'interminable conflit israélo-palestinien. S'aventurant sur ce terrain, Adeline Rosenstein s'oppose à l'usage médiatique des images du conflit, prend le parti d'un spectacle documentaire sans cartes ni photos ni films. Pari osé pour transmission apaisée. Et grise, et tiède, comme elle le revendique, “parce que c'est un sujet infiniment douloureux et qu'il ne faut pas le ridiculiser avec des coups de sang infertiles”. Sans iconographie donc mais avec projections (Ledicia Garcia signe espace et lumières), avec aussi des écrits d'historiens et d'analystes, des conseils de linguistes et de politologues, des témoignages d'artistes occidentaux, des extraits d'oeuvres de dramaturges arabes – avec Adeline Rosenstein entourée d'Olindo Bolzan, Léa Drouet, Isabelle Nouzha et Thibaut Wenger –, « Décris-ravage » est une vraie conférence qui n'oublie jamais qu'elle est du théâtre, offre un point de vue et, non sans humour, une aire ouverte à la curiosité et au doute. (M.Ba.)

Décris-ravage de et par Adeline Rosenstein, Théâtre Océan Nord

mise en scène d'Adeline Rosenstein