Pigeons

/photos/2014.Pigeons_AlessiaContu.pngUne belle histoire d'un monde peu connu, celui des colombophiles, une histoire de transmission d'un savoir, d'une passion, d'une amitié entre un gamin et un veil homme, son mentor de « coulonneux ». Le petit garçon a grandi, son amour des pigeons aussi. Seul sur scène... avec Duchesse, son volatile préféré et quelques autres, Kevin Defossez, comédien-colombophile, plonge dans son enfance, en réveille des anecdotes drôles, pleines d'émotions, toutes histoires vraies. Mis en scène par Thierry Lefevre (son professeur au Conservatoire de Mons), tout en sobriété et simplicité, d'une très belle attention au geste qui parle, au silence qui écoute, Kevin Defossez joue son propre rôle, mais aussi celui du vieux Ghislain. La langue devient alors rude, elle a la saveur du terroir picard. A la fois réaliste et poétique, traversée de chansons, d'envolées surréalistes superbes, la construction de Pigeons se picore en aller-retours : un mot, un nom, celui d'un homme ou d'un pigeon ouvrent alors la porte aux aux souvenirs, en tonalités contrastées. Trajet d'une vie, le spectacle devient une étonnante initiation aux arcanes de ce métier-passion, à son histoire et à ses réalités rurales. Sur un plateau dépouillé, où toute une époque se signe par un lampadère, une télévision, un porte-manteau... et des outils de colombophile (scénographie d'André Meurice), Kevin Defossez nous garde sous son aile, dans une justesse de ton et de rythme qui font de ces Pigeons un petit bijou, qui mérite une reprise. M.F.

« Pigeons » de Thierry Lefèvre et Kevin Defossez, créé au Manège à Mons dans le cadre du Festival Tilt.

avec Kevin Defossez

Et avec sa queue il frappe!

/photos/2014.MSzersnovicz_etavecsaqueue_ZenoGratonQui eût crû que Charles Bronson, « Rambo », et autres « Massacres à la tronçonneuse » soient à ranger du côté des outils éducatifs modèles ? Ils n’ont pas sauvé le monde mais Bruce Lee et Clint Eastwood sauvent ici la vie d’un jeune ado. Si la pièce de Thomas Gunzig, mise en scène par David Strosberg, frappe juste et nette comme un coup de pied rotatif arrière de Jet Li, c’est aussi grâce au génie d’Alexandre Trocki, épatant d’un bout à l’autre de ce seul en scène pourtant posé dans un dispositif scénique cruel : Au plafond, un brumisateur diffuse une sorte de crachin perpétuel sur le comédien qui joue donc sous la pluie durant toute la représentation. Il crache son épopée sous une bruine (ingénieuse idée de la scénographe Marie Szersnovicz) qui évoque tantôt la dépression pré-pubère et l’humeur typiquement apocalyptique des ados, tantôt les fumigènes mystérieux des films d’action convoqués par son récit. Car notre homme commence sa fable devant les grilles de l’école de son gamin, tête de turc d’un certain Killian, lui racontant, pour le rassurer, ses propres déboires scolaires et comment il a changé son rapport à la peur grâce aux films dont il s’est abreuvé. Lui, le dimsum mal dans sa peau a grandi grâce à la « Fureur du Dragon ». La langue ludique et ultra imagée de Gunzig conduit Trocki à mimer la fécondation d’un vieux spermatozoïde en mauvaise condition physique, un souffre-douleur devenu poireau dans un champ, la sexy Terri McMinn pendue par la peau du cou à un crochet dans « Massacre à la tronçonneuse », ou les plus célèbres spasmes de moribonds du cinéma. On se bidonne, on revoit notre géographie du continent complexe des ados et on se dit qu’on ne regardera plus jamais les navets hollywoodiens de la même façon. C.Ma.

Création au Théâtre Les Tanneurs. Reprise du 4 au 7 novembre à l’Eden à Charleroi. Du 13 au 15 novembre au KVS, Bruxelles. Le 13 janvier à la Maison de la Culture de Tournai.

avec Alexandre Trocki
elu

Joyo ne chante plus

/photos/2014.Joyo_SergeGutwirth.pngUne femme s’avance lentement en s’agrippant aux murs, éclairée par une semi-pénombre, comme si elle était devenue étrangère dans sa propre maison. Ce lent prélude silencieux se déchire bientôt pour laisser échapper un torrent de mots rageurs et désespérés. Joyo le canari est mort, son corps inerte gît sur la table, et c’est à lui qu’elle va confier son dégoût du monde et des hommes qui l’habitent : l’huissier, le juge, les voisins agacés par le chant de l‘oiseau, l’amant russe qui l’a abandonnée et dont elle ne peut plus que ressasser le souvenir. Joyo n’est plus et avec lui se sont envolés ses derniers rêves. François Emmanuel signe ici un de ses plus beaux textes, un joyau brut pour lequel, dirait-on, il réinvente la langue française. Gwen Berrou, étonnante, donne corps et voix à ces divagations, ces proférations, ces mots qui errent parfois aux limites de l’intelligible. Cette comédienne aux registres multiples parvient même à nous faire sourire au cœur du désespoir. Et son personnage, tout incarné qu’il soit, prend valeur universelle. Grâce aussi au talent du metteur en scène Pascal Crochet qui a manifestement trouvé dans cette pièce crépusculaire un terrain fertile. D.M.

« Joyo ne chante plus » de François Emmanuel, mise en scène de Pascale Crochet. Au Poème 2

avec Gwen Berrou